« Question de conduite, expérience esthétique au long cours, pratique d’individuation, l’activité de lecture ne nous advient que dans une certaine manière et par une certaine manière. Peut-être est-ce là le point dont il est le plus difficile, mais aussi le plus décisif, de prendre vraiment acte : le maniérisme de la lecture, comme de toute pratique. Nous n’avons pas seulement à faire à des conduites, mais à des façons de se conduire, pas à des lectures, mais à des styles de lecture. Or, dans ces occasions esthétiques, la manière des pratiques est aussi leur matière : le style d’une lecture, son comment, est le contenu de l’expérience qu’elle constitue, son contenu enfin individué. Cela ne signifie pas que l’on doive se particulariser avec les livres, dans le choix illusoire de petites différences ou d’originalités qui nous sépareraient d’autrui ; mais que chacun engage là toute une ligne de vie, un profil partageable, des capacités d’orientation et de bifurcation à l’intérieur de ses propres possibles.
Dans toute pratique humaine, en effet, ce n’est pas la vie nue qui s’essaie en nous, mais des formes de vie. Nos actes ne sont pas affublés d’un style, comme colorés par un vernis, nos personnalités ne sont pas “affectées” par une manière ; non, le style est notre “faire”, notre puissance pratique, notre morale, la manière est notre être. »
Marielle Macé, Façons de lire, manières d’être, 2011.