« L’appartement est complètement vide. Je n’aime jamais autant les espaces que lorsqu’ils sont nus. Ce n’est qu’avant l’arrivée des conventions et du mobilier qu’il est possible d’avoir un corps à corps avec l’architecture. Les meubles sont des dispositifs de capture qui fixent le corps dans l’espace et déterminent son mouvement, proposant un plan d’action dans le temps : le lit, la table, le canapé, la chaise de bureau, etc. introduisent des disciplines et des usages spécifiques du corps. Meubler un appartement, c’est prescrire une forme de vie.
[…] Un appartement est à la fois un privilège et une forme de contrôle social, une technologie de gouvernement établissant un lien entre un corps humain et un espace ; quelque chose d’aussi socialement construit que la différence sexuelle ou l’assignation raciale. Une institution, une pulsion de mort, un fardeau. Une seconde peau, un exo-squelette. Une orthèse. Une prison et un refuge. La niche dans laquelle la norme sociale est incubée. Le jardin artificiel dans lequel l’âme est cultivée. »
Paul B. Preciado, Dysphoria mundi. Le son du monde qui s’écroule, 2022.