cadres

Cadre en métal, Zara Home

Cadre en métal, Zara Home

Encadrement, cadrage, milieu. Le cadre est riche de multiples significations qui s’entremêlent les unes aux autres. 

Très concrètement, il désigne d’abord l’objet, la délimitation matérielle et tangible d’un tableau ou d’une photographie. Dans cette acception, il reste extérieur et hétérogène à l’œuvre elle-même, qu’il protège parfois sous verre et qu’il soutient. Il est alors le parergon kantien, littéralement ce qui est à côtéautour de l’œuvre. S’il « ne fait pas partie intégrante de la représentation entière de l’objet comme l’un de ses éléments constitutifs, mais simplement comme un ajout extérieur », néanmoins il augmente néanmoins « la satisfaction du goût » et peut « recommander, par son attrait, le tableau à l’assentiment » [1].

Cadre en bois et rotin, Alinéa

Cadre en bois et rotin, Alinéa

Cadres Nickel, Leroy Merlin

Cadres Nickel, Leroy Merlin

Ce cadre-encadrement peut même faire l’objet du soin des artistes. Ainsi, dans une lettre datée du 28 avril 1639, Poussin exhorte le destinataire de l’un de ses tableaux à l’encadrer, « à l’orner d’un peu de corniche » : le tableau « en a besoin, afin que, en le considérant en toutes ses parties, les rayons de l’œil soient retenus et non points épars au-dehors en recevant les espèces des autres objets voisins qui, venant pêle-mêle, avec les choses dépeintes confondent le jour » [2]. À travers cette requête, le peintre souligne l’une des fonctions principales du cadre qui est de capter le regard et l’attention. Celui-ci capte le regard et l’attention. Il les intensifie et les concentre sur la surface qu’il délimite. Il invite dans le même mouvement à suspendre, à garder en retrait le reste du champ perceptif. Pour reprendre les termes de Louis Marin, en tant que « fragment d’espace, le cadre a une fonction essentielle ; ne relevant ni de l’espace du spectateur, ni de celui du tableau, il neutralise le monde ambiant ; grâce à lui, les rayons de l’œil sont enclos dans l’espace du tableau, focalisés par lui » [3]. Or, selon la philosophe Marianne Massin, une telle « focalisation attentive », à la fois « distinctive et suspensive », est l’une des dimensions constitutives de l’expérience esthétique. Celle-ci :

me détache du flux des événements alentour et je m’abandonne à l’incitation première d’une rencontre, mais parallèlement et moins consciemment sans doute, c’est moi qui détache cette expérience par un effort heureux pour m’enfoncer en elle. […] Je m’abstrais d’autres intérêts et contingences pour laisser se déployer l’attention que le sensible sollicite et aiguillonne ; abstraction paradoxale par laquelle je m’enfouis dans le sentir d’un moment concret. [4]

En ce sens, s’il n’en est bien évidemment pas une condition nécessaire, ni suffisante, le cadre peut être l’un des facteurs qui nous invite à apprécier esthétiquement l’image qu’il enserre, à goûter « l’irrésistible et magnifique présence du sensible » [5].

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Cadres en laiton, Casa

Encadrement solide qui capte le regard, le cadre est également « cadre-cadrage ». Par cette expression, le philosophe Frédéric Pouillaude désigne « le contenu même de la représentation, en tant qu’il est cadré, découpé, en tant que s’y détermine un champ et un hors-champ » [6]. En effet, dans la tradition de la peinture figurative européenne, telle que l’a définie Alberti : « j’inscris sur la surface à peindre un quadrilatère à angles droits aussi grand qu’il me plaît, qui est pour moi en vérité comme une fenêtre ouverte à partir de laquelle l’histoire représentée pourra être considérée » [7]. L’hors-champ de cette image-fenêtre peut alors se prêter à des promenades imaginaires dans le monde joyeusement chimérique entraperçu à travers elle. Je peux rêver à ce qui se trame, hors des frontières du cadre, de l’autre côté de la surface.

Mais le cadre est aussi contexte, environnement immédiat, milieu dans lequel on se trouve et évolue. Encadrement matériel et cadrage figuratif y participent pleinement. Ils rythment, ils ornent et enrichissent notre existence aussi bien sensible qu’imaginaire. Ils encadrent et accompagnent toutes nos aventures quotidiennes de leurs images. Ils font notre cadre de vie.

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Cadres en nacre, Zara Home

[1] Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger [1790], § 14, trad. A. Renaut, Flammarion (« GF – Philosophie »), 2015, p. 205.

[2] Nicolas Poussin, « Lettre à Chantelou du 28 avril 1639 », dans Lettres et propos sur l’art, textes réunis et présentés par A. Blum [1964], Hermann, 1989, p. 45.

[3] Louis Marin, Détruire la peinture [1977], Flammarion (« Champs »), 1997, p. 45.

[4] Marianne Massin, Expérience esthétique et art contemporain, PUR (« Æsthetica »), 2013, p. 38.

[5] Mikel Dufrenne, Phénoménologie de l’expérience esthétique, t. 1, PUF, 1953, p. 127.

[6] Frédéric Pouillaude, « Qu’est-ce qu’un cadre ? » [25 novembre 2011], conférence du séminaire « Questions d’esthétique », auditorium du musée d’Orsay, Paris.

[7] Leon Battista Alberti, La Peinture [1436], Seuil, 2004, p. 83.