au cœur du foyer

georges iliopoulos philosophie homeney

Assoupi ou en train de ronger bruyamment les bûches, petit Calcifer ronchon mais bienveillant, le feu qu’on nourrit avec précaution au cœur du foyer nous semble souvent presque vivant, un être mouvant et insaisissable, aux danses énigmatiques, lié au sang et à la vitalité par sa chaleur et son rougeoiement. Profondément ambivalent et riche de ses contradictions, il est depuis sa lointaine domestication tantôt « favorable, fécondant, purificateur, régénérateur ; tantôt au contraire il est fourbe, violent, destructeur » [1]. C’est pourquoi : « Ici, il faut l’entretenir, le surveiller, ne pas le laisser s’éteindre car il est source de bienfaits ; là, il faut s’en protéger, le fuir, l’éteindre ou le dompter ». Par la vivacité de ses flammettes qui lèchent insatiablement l’air, le feu apparaît même comme « l’ultra-vivant », car dans nos rêveries de tous les jours, si « tout ce qui change lentement s’explique par la vie, tout ce qui change vite s’explique par le feu » [2]. Ainsi, tel un « dieu tutélaire et terrible, bon et mauvais » selon nos égards ou notre hubris :

Le feu est pour l’homme qui le contemple un exemple de prompt devenir et […] suggère le désir de changer, de brusquer le temps, de porter toute la vie à son terme, à son au-delà. Alors la rêverie est vraiment prenante et dramatique ; elle amplifie le destin humain : elle relie le petit au grand, le foyer au volcan, la vie d’une bûche et la vie d’un monde.

Car le feu unit en nous le creux de l’intime à l’imagination d’un infini où se perdre. Il prête son image aux passions, secrètes ou éclatantes, comme aux déflagrations primordiales de l’univers ; Héraclite en faisait l’élément premier, constitutif et transformatif de toute chose ainsi que le principe de l’unité et de l’ordre cyclique du cosmos entier [3]. Il est le cœur palpitant et chaleureux de la famille engourdie par l’hiver et le prytanée qui rassemble la communauté autour de son autel, malgré les orages de l’histoire. Mais avant toute autre chose peut-être, le « feu enfermé dans le foyer fut sans doute pour l’homme le premier sujet de rêverie, le symbole de repos, l’invitation au repos. […] Près du feu, il faut s’asseoir ; il faut se reposer sans dormir »[4].  

Georges Iliopoulos

 

[1] Michel Pastoureau, Rouge. Histoire du couleur [2016], Éditions du Seuil (« Points Histoire »), 2019, p. 29. Citation suivante, ibid.

[2] Gaston Bachelard, La Psychanalyse du feu [1938], Gallimard (« Folio Essais »), 1985, p. 23. Citations suivantes, ibid. et ibid. p. 39.

[3] Héraclite, Fragments [Citations et témoignages], présentation et traduction par Jean-François Pradeau, deuxième édition corrigée, Flammarion (« GF »), 2004. 

[4] Gaston Bachelard, La Psychanalyse du feu [1938], op. cit., p. 36-37.