Hormis certains clichés de mégapoles ultramodernes et d’étendues désertiques, les pays du Golfe restent relativement peu connus en Europe. Ils regorgent pourtant de richesses naturelles et culturelles. Moath Almulhem, joueur de oud saoudien installé depuis quelques années à Paris, nous a accordé un entretien pour nous faire découvrir quelques aspects de l’art de vivre de la péninsule arabique.
• Le majlis est un élément crucial des maisons du Golfe, pourriez-vous nous décrire sa configuration et ses fonctions ?
Culturellement, le majlis est en effet très important dans les pays du Golfe. Il est lié à une tradition très ancienne, qui date de l’époque pré-islamique. Les gens avaient l’habitude de se rassembler en un lieu où ils se détendaient, où ils discutaient de leur vie et des affaires publiques. Le majlis en est le résultat historique.
Aujourd’hui encore, les hommes s’y rassemblent pour échanger, surtout le soir. C’est notamment le lieu où l’on discute des événements politiques et des changements qui ont lieu dans la société. Mais on s’y retrouvent aussi tout simplement pour passer du temps ensemble ou pour se divertir : on y joue aux cartes, les jeunes jouent à la console, etc.
Il y a toujours quelqu’un dont le rôle est de servir les invités. C’est d’habitude le plus jeune des fils de l’hôte, en général un adolescent. Lui n’a pas le droit de s’assoir, il doit rester debout et surveiller les tasses de thé ou de café des invités, pour les remplir dès qu’elles sont vides.
Dans la culture du Golfe, les femmes et les hommes vivent plutôt séparés. Les femmes ont donc leur propre majlis. Mais le terme se réfère plus particulièrement au lieu de réunion des hommes.
Du point de vue de la configuration, le majlis est d’ordinaire de forme carrée ou rectangulaire, en général huit mètres sur cinq. On positionne au centre de l’espace se trouve une table, où l’on dispose le café et le thé, de la nourriture parfois. Avant, on les posait directement au sol, on s’asseyait par terre aussi, tout autour, Aujourd’hui, on utilise plutôt des canapés, qui occupent tout le long des murs. Ou du mobilier bas, des assises d’une trentaine de centimètres de haut, une sorte d’intermédiaire entre le sol et les canapés.
• Quels sont les principaux matériaux et motifs utilisés pour orner les textiles et les objets du quotidien ?
Par le passé, avant la période du pétrole, le matériau le plus utilisé par les gens dans le désert pour leur majlis était très particulier. La tente des bédouins, dans le désert, était appelée “la maison de poils”, parce qu’elle était faite en poils de chèvre. L’extérieur de la tente était et est encore noire, l’intérieur est principalement rouge, avec de nombreux motifs : des rayures et des triangles surtout, mais aussi des carrés et des cercles. Les principales couleurs utilisées sont le noir, le rouge et le blanc. La technique traditionnelle de tissage pratiquée par les femmes bédouines dans la péninsule arabique s’appelle “al sadu”.
De nos jours, les gens sont très influencés par la décoration occidentale. Comme je le disais, il y a des canapés le long des murs du majlis. Les rideaux y sont aussi très important. Aujourd’hui, personne dans le Golfe ne vivrait dans une maison sans rideaux.
• Quelle place pour les senteurs d’intérieur ?
Merci de poser la question, c’est une affaire très importante ! Les parfums, et le oud en particulier (à ne pas confondre avec l’instrument de musique du même nom), sont centraux dans la culture et la sociabilité arabes.
Pour en revenir au majlis, de nos jours les gens y boivent principalement du thé ou du café, et ils mangent quelques pâtisseries. Mais les hôtes qui suivent de très près les traditions arabes, les bédouins en particuliers, n’acceptent jamais que des gens viennent chez eux sans leur servir un véritable repas, de la viande en particulier. Ce serait honteux pour eux, parce que l’hospitalité et la générosité sont des valeurs centrales de leur culture. Le oud est offert aux invités après le repas, souvent après le dîner. Le oud est un bois collecté sur certains arbres en Inde, au Cambodge, en Thaïlande, en Malaisie et en Indonésie. On le dépose sur du charbon brûlant pour en libérer l’odeur.
Le oud est particulièrement central lors des mariages. Il est offert aux invités tout au long de la nuit, pas seulement après le dîner. De nos jours, on offre aussi des parfums occidentaux, en particulier des parfums français.
• Vous l’avez mentionné, la tente est encore très présente dans la vie quotidienne, surtout en hiver. Quelles sont les habitudes qui s’y rattachent ?
Là encore, faisons un retour dans le passé. Avant la découverte du pétrole, les Arabes du Golfe vivaient pour beaucoup d’entre eux dans le désert, de manière nomade. Il allaient d’un lieu à l’autre, à la recherche d’eau et de conditions climatiques propices pour leurs dromadaires et leurs troupeaux. Ils passaient un mois ici, un mois là. La tente était alors primordiale dans leur mode de vie.
De nos jours, la plupart des bédouins se sont sédentarisés et urbanisés. Il y a eu depuis la découverte du pétrole une explosion urbaine dans le Golfe, en particulier en Arabie saoudite. Ces gens se sont donc installés en ville, mais la culture de la tente est toujours en eux le lien au désert aussi. Ils peuvent vivre dans des grandes maisons, dans des villas, mais le désert leur manque. Beaucoup de gens passent des mois entiers dans le désert. Mais seulement l’hiver, parce que le climat est brûlant en été. Pendant cette période, les gens campent, puis ils retournent dans leur maison en ville. Dans le désert, ils se détendent dans la tente, ils cuisinent, ils chassent avec leurs faucons, ils allument un feu la nuit et discutent entre eux autour. Près du feu, les gens partagent souvent de la poésie. C’est quelque chose de très important dans la culture du Golfe.
• Vous êtes musicien. Dans les pays du Golfe, quel rôle a la musique lors des événements familiaux et sociaux ?
Là encore, ça remonte loin historiquement. Dans la culture bédouine, le soir, pendant que l’on buvait du café, on jouait du rababa, qui est un instrument à une seule corde. De nos jours, la musique est très importante lors des événement comme les fiançailles, les mariages, les célébrations de fin d’études, etc. Parfois il s’agit de fêtes sans raison particulière. On y joue de la musique live, de la musique du Golfe surtout. La musique est centrale dans la sociabilité de la péninsule arabique
Entretien mené par Georges Iliopoulos.
Le tissage al sadu a été inscrit en 2020 au patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco :