Lieu mince et multiplement bifrons, le seuil est entrée vers l’intimité d’un chez-soi, ouverture à l’immensité du monde, espace indécis entre le dedans et l’ailleurs, marginal mais incontournable, une dalle massive sous les pieds qui s’allège dans la figure incertaine des renouveaux.
C’est depuis la lourde pierre du seuil que sont érigés les murs du temple de Delphes, demeure d’un dieu mantique « en clair-obscur », éclatant mais « semblable à la nuit », pur et impur, citharède le couteau souvent à la main. C’est le seuil qui constitue « le socle et l’assise sur lesquels l’architecte va fonder l’édifice » [1] tout entier, ce sanctuaire où l’avenir oblique sera entrebâillé pour les pauvres mortels, ceux qui « vivent dans l’égarement et ne sont même pas capables d’inventer un remède à la mort » [2].
Même désorientés, même dans l’aporie, il y a peut-être un seuil où revenir, d’où s’élancer.
Georges Iliopoulos
Illustration par David Ha.
[1] Marcel Detienne, Apollon le couteau à la main. Une approche expérimentale du polythéisme grec [1998], Gallimard (« Tel »), 2009, p. 10-35.
[2] Hymne homérique à Apollon, 190-193.