Hors du fort privé, ce ne sont pas seulement les espaces ouverts d’une publicité émancipatrice ou consumériste, que l’on traverse rapidement dans le froid ou dans lesquels on s’attarde et flâne. Ce sont des lieux communs, ceux que l’on partage, de droit sinon de fait.
On peut s’étonner que l’utilisation du syntagme soit presque exclusivement rhétorique, en une condamnation nette de la banalité verbale. Pourtant, il fait également signe vers le concret de topologies vécues, vers des topoi physiquement arpentés. Concernant le sens dominant et langagier des « lieux communs », il faut aussi se rappeler que :
L’invention ne concerne pas, dans la rhétorique antique, les idées singulières, originales, auxquelles nous accordons aujourd’hui tant d’attention : elle concerne, au contraire, le maniement des lieux communs. Les Anciens valorisaient le domaine public parce que public ; et ils prisaient la répétition parce que créatrice d’un monde commun. […] si le lieu commun est une banalité, c’est « une banalité au deuxième degré, qui suppose donc une élaboration, une appropriation personnelle ; bref, une imitation », comme l’écrit François Goyet. Loin que le lieu commun se détériore par son usage, c’est son usage qui l’accomplit, fait la preuve de sa fécondité et joue le rôle de catalyseur de la communauté. [1]
Une catalyse qui advient aussi et peut-être avant tout dans les espaces publics, par l’efficace imprévisible de la rencontre ; un usage qu’il appartient à chacune et chacun, par définition, de reprendre et de réactualiser. Sans maxime rigide, sans contrainte édictée violemment par un quelconque pouvoir, mais en se coulant avec plus ou moins d’aisance dans des paroles et dans des gestes sociaux dont on hérite et que l’on réinvente sans cesse, variation sur variation. Parce que l’usage « possède cette vertu de ne rien postuler d’autre que ce que les hommes font, sans faire appel à quelque “fondement”, dès l’instant où ce qu’ils font s’inscrit dans un contexte d’actions conjuguées et apprises qui appartiennent à une “forme de vie”. » [2]
User donc des lieux communs, aux deux sens de l’expression, pour faire communauté.
Georges Iliopoulos
[1] Baldine Saint Girons, Le Pouvoir esthétique, Éditions Manucius (« Le Philosophe »), 2009, p. 19-20. Voir Françis Goyet, Le Sublime du « lieu commun ». L’invention rhétorique dans l’Antiquité et à la Renaissance, Champion, 1996, p. 250.
[2] Jean-Pierre Cometti, Art, modes d’emploi. Esquisses d’une philosophie de l’usage, La Lettre volée (« Essais »), 2000, p. 59.