« Si jeter est la première condition indispensable pour être, parce qu’on est ce qu’on ne jette pas, le premier acte physiologique et mental est la séparation entre la part de moi qui reste et la part que je dois laisser descendre dans un au-delà sans retour. Le rite purificateur de l’enlèvement des ordures ménagères peut être vu comme une offrande aux enfers, aux dieux de la disparition et de la perte, l’accomplissement d’un vœu.
Le contenu de la poubelle représente la part de nos être et avoir qui doit quotidiennement sombrer dans le noir pour qu’une autre part de nos être et avoir puisse rester jouir de la lumière du soleil, soit, et soit eue vraiment. Jusqu’au jour où même le dernier support de nos être et avoir, notre personne physique, deviendra une dépouille morte qu’il faudra à son tour déposer dans le fourgon qui conduit à l’incinérateur.
Cette représentation quotidienne de la descente sous terre, cet enterrement ménager et municipal des ordures entend donc, en premier lieu, éloigner l’enterrement de la personne, le renvoyer, même si c’est seulement un peu, et me confirmer que pour un jour encore j’ai été producteur de scories, et non scorie moi-même. »
Italo Calvino, La Poubelle agrée, 1974-1976.