« Nous cheminions sul lungomare, las et heureux. Moins directement heureux peut-être que sensibles à un accord musical inattendu surgi entre le monde et nous : nos sentiments et nos pensées nous semblaient atteindre à l’unisson, malgré des destins séparés. “La paix du soir”, ai-je alors murmuré, comme si cette expression m’avait été soufflée. Une douce émotion nous envahit tous les trois. Impossible, semblait-il, de ne pas la reconnaître : elle nous enveloppait et nous absorbait, tissant entre nous un double lien, substantiel et musaïque.
Devait-elle davantage sa force à un état du monde ou au vocable ? Quels rôles fallait-il attribuer respectivement à la perception mondaine et à sa formulation ? Silencieux et retenant notre souffle, nous croyions bien “entendre” la respiration du cosmos, miraculeusement pacifiée : n’était-ce pas le monde qui nous parlait directement à travers l’équilibre éphémère du crépuscule, alors que le jour le cédait au soir ? N’entendions-nous pas cette voix de façon quasi endophasique, presque comme une hallucination verbale.
Pourtant quelque chose de nouveau se produisit, dès lors que nous nommâmes “la paix du soir” : la force poétique du phénomène du monde sembla décupler. Nous éprouvâmes alors le besoin de méditer sur la musique et le sens des mots, comme d’évoquer des poèmes […] »
Baldine Saint Girons, L’acte esthétique.