style

Lorsqu’on remonte les méandres de l’étymologie, le style trouve sa source dans le poinçon de fer ou d’os, dont la pointe servait à écrire sur les tablettes de cire et dont l’autre extrémité, large et plate, permettait d’effacer les signes inscrits [1]. Les diverses définitions qui cherchent à en cerner le sens actuel renvoient pour la plupart à un faisceau de trois caractéristiques qui s’entremêlent : l’originalité, l’expressivité et, surtout, l’unité. 

Unité. Certes. L’historien de l’art Meyer Schapiro nous rappelle que les « spécialistes ont rapidement remarqué que les traits qui constituent un style ont une qualité en commun. Ils ont tous l’air d’être marqués par l’expression de l’ensemble, ou bien il existe un trait dominant auquel les éléments ont été adaptés » [2]. Pourtant, l’unité stylistique n’est pas nécessairement homogénéité ou uniformité. Il y a parfois des « variations à l’intérieur d’un style » : 

Il est possible de voir, dans des parties opposées, des éléments qui contribuent à construire un ensemble qui doit son caractère au jeu et à l’équilibre de qualités contrastées. Mais, dans ce cas, la notion de style a perdu cette uniformité cristalline et cette correspondance simple des parties au tout que nous avions à l’origine. L’intégration peut se faire d’une manière plus lâche, plus complexe, en travaillant sur les parties dissemblables. […] il faut, quand on décrit et explique un style, considérer son aspect non homogène, instable, les tendances obscures qui s’y manifestent vers de nouvelles formes.

Il est néanmoins vrai que « certains styles, en vertu de leurs formes irrégulières, ouvertes, tolèrent mieux que d’autres l’inachevé et l’hétérogène ». Tous n’acceptent pas cette joyeuse licence. 

Un tel jeu d’éléments disparates, susceptible de faire advenir l’unité d’un style, n’apparaît cependant pas d’un coup. Il exige de prendre son temps, de tâtonner parfois, d’effacer, de recommencer. Pour celui ou celle qui s’efforce d’en tracer les linéaments et d’en formuler les règles, sa complexité est quelquefois décourageante. Le philosophe Alain nous donne peut-être une solution :

J’ai souvent invoqué cette précaution du sage contre les soucis : « Une seule chose à la fois » ; elle est de plus grand secours encore dans l’exécution des œuvres. Et peut-être est-elle surtout visible en ces maisons bien des fois agrandies ou consolidées, selon les besoins et les ressources, et ornées de même, sans aucun plan ambitieux. Dans ce genre de travaux, où la matière résiste et porte les projets, […] l’imagination est conduite par la chose, ramenée à la chose ; l’œuvre s’accroît enfin par l’œuvre. [3]

Petit à petit, dans la durée, le style s’élabore selon les contingences. Ou plutôt avec elles, grâce à elles.  

C’est donc jour après jour qu’on écrit, comme au poinçon, son chez-soi.

Georges Iliopoulos

 

[1] Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, 2016, p. 2326.

[2] Meyer Schapiro, Style, artiste et société, essais traduits par B. Allan, D. Arasse, G. Durand... [et al.], Gallimard (« Tel »), 1990, p. 45. Pour les trois citations suivantes voir ibid. p. 46-48.

[3] Alain, Système des beaux-arts [1920], Gallimard (« Tel »), 1983, p. 338.