« Le matin, qui est la période la plus notable du jour, est l’heure du réveil. C’est à ce moment qu’il y a en nous le moins de somnolence ; et pendant une heure au moins, quelque chose en nous s’éveille qui est assoupi tout le reste du jour et de la nuit. […] Tous les événements mémorables, me semble-t-il, adviennent au matin, et dans une atmosphère matinale. Les Védas disent, “toutes les intelligences s’éveillent avec le matin”. La poésie, les arts, les plus belles et les plus dignes de passer à la postérité parmi les actions des hommes, commencent à cette heure. Tous les poètes et les héros, comme Memnon, sont enfants de l’Aurore, et répandent leur musique au lever du soleil. Pour celui dont la pensée vigoureuse et flexible suit le soleil dans sa course, le jour est un perpétuel matin. Ce que dit l’horloge, ce que sont les attitudes et les travaux des hommes, n’importe pas. Le matin, c’est lorsque je m’éveille, lorsque l’aube est en moi.
[…]
Il faut que nous apprenions à nous réveiller, et à nous tenir éveillés, non pas grâce à des secours matériels, mais en restant dans une attente constante de l’aube, qui ne nous oublie pas, même au plus profond de notre sommeil. Je ne connais rien d’aussi encourageant que cette indéniable capacité chez l’homme d’élever sa vie par un effort conscient. C’est quelque chose de pouvoir peindre tel tableau, ou de sculpter telle statue, et de créer ainsi quelques beaux objets ; mais il est bien plus glorieux de sculpter et de peindre l’atmosphère même et la matière que nos regards traversent, ce que moralement nous sommes capables de faire. Transformer la qualité du jour, c’est là le plus noble des arts. »
Henry David Thoreau. Walden ou la vie dans les bois, 1854.