sublime !

georges iliopoulos philosophie homeney

Si l’on cherche le sublime dans les espaces domestiques, on ne le trouvera sans doute pas dans le spectacle une terrible grandeur, d’une puissance capable de nous terrasser ou d’une menace qui nous guetterait de loin. 

Certaines circonstances semblent néanmoins susceptibles de faire naître en nous le délice (delight) propre au sublime, au sein même de la paisible familiarité du chez-soi. Nous pouvons en effet ressentir ce plaisir « relatif », cette « sensation qui accompagne l’éloignement de la douleur ou du danger » [1], lorsque nous sommes pour un moment privés de nos repères habituels et rassurants, sans pour autant être réellement serrés de près par un quelconque danger ou transis de douleur : lorsque nous gisons comme perdus au cœur d’une dense obscurité, la nuit, dans une chambre pourtant connue depuis des années ; lorsque nous errons dans la vacuité froide d’une pièce solitaire ; lorsque nous sommes plongés dans un silence étouffant ; lorsque nous nous trouvons face à une succession uniforme qui donne « à des objets bornés l’estampille de l’infini », un infini tout « artificiel » mais qui étourdit vivement l’imagination [2].

L’effraction du sublime dans le familier peut même se cultiver ou, du moins, elle peut être le fruit, toujours imprévisible certes, d’une attention gorgée d’imaginaire qui s’applique aux objets tout à fait ordinaires du quotidien. Car « si l’infiniment grand est sublime, l’infiniment petit ne l’est pas moins » :

Prêtons attention à l’infinie divisibilité de la matière, observons la vie animale jusque dans les êtres infimes et pourtant organisés qui échappent à la plus fine investigation des sens, poussons nos découvertes encore plus avant et considérons des créatures plus infimes encore et l’échelle toujours décroissante de l’existence, où se perdent l’imagination aussi bien que les sens, nous demeurons étonnés et confondus des merveilles de l’exiguïté et nous ne distinguons plus les effets de l’immensité et de l’extrême petitesse.

Si notre œil scrute les détails les plus minuscules, s’il se figure par exemple les vies microscopiques et innombrables qui jouent et luttent dans le pli d’un tissu qui se transforme alors lui-même en une vallée immense, un vertige intensément délicieux peut nous saisir. 

Ainsi, il n’est nul besoin de montagnes déchiquetées par le temps, de mers déchaînées ou d’orages apocalyptiques. Sur les cimes de l’infime, en jouant autour du gouffre de l’infiniment petit, nous pouvons aussi connaître le sublime.

Georges Iliopoulos

 
 

[1] Edmund Burke, Recherche philosophique sur l’origine de nos idées du sublime et du beau [1757], présentation et traduction de Baldine Saint Girons, Vrin, 2009, p. 93.

[2] Ibid. p. 122-148. Citations suivantes, ibid. p. 143.