C’est connu, le choix des couleurs dans un intérieur est affaire de goût. Mais il ne s’agit pas d’un goût strictement personnel. L’appréciation positive ou négative des différentes couleurs est aussi et peut-être avant tout culturelle, sociale et historique.
L’historien Michel Pastoureau a retracé les péripéties en Occident du bleu, du rouge, du jaune, du noir, de l’Antiquité à nos jours. Si toutes ont connu des hauts et des bas, c’est le vert qui présente l’histoire la plus mouvementée :
Longtemps difficile à fabriquer, et plus encore à fixer, le vert n’est pas seulement la couleur de la végétation ; il est aussi et surtout celle du destin. Chimiquement instable, tant en peinture qu’en teinture, il a au fil des siècles été associé à tout ce qui était changeant, versatile, éphémère : l’enfance, l’amour, l’espoir, la chance, le jeu, le hasard, l’argent. Ce n’est qu’à l’époque romantique qu’il est définitivement devenu la couleur de la nature et, par la suite, celle de la liberté, de la santé, de l’hygiène, du sport et de l’écologie. Son histoire en Occident est en partie celle d’un renversement de valeurs. Longtemps discret, mal aimé ou rejeté, on lui confie aujourd’hui l’impossible mission de sauver la planète. [1]
Ainsi, plus que n’importe quelle autre, le vert « apparaît comme une couleur ambivalente, sinon ambiguë : symbole de vie, de chance et d’espérance d’un côté, attribut du désordre, du poison, du diable et de toutes ses créatures de l’autre » [2]. Il est tour à tour couleur incertaine, courtoise, secondaire ou dangereuse.
Cependant, certains aspects symboliques du vert sont présents tout au long de son histoire, même s’ils sont mis en sourdine à certaines époques. Si ce n’est qu’à partir du XIXe siècle et surtout au XXe qu’il devient pleinement une couleur apaisante, cette dimension existe par exemple dès l’époque romaine. Déjà chez Virgile et Pline, « le vert repose et conforte la vue. À Rome, on réduit l’émeraude en poudre pour en faire des baumes oculaires : le vert fortifie l’œil et équilibre la vision » [3]. Au Moyen Âge, « les scribes et les enlumineurs placent à côté d’eux des objets verts, voire des émeraudes, qu’ils contemplent de temps en temps pour se reposer les yeux » [4]. Idée qui prend toute sa force au tournant du XXe siècle, en lien avec les bienfaits associés au végétal : « Si l’on en croit les médecins et les psychologues, la simple vue de quelques arbres et d’un peu de végétation passe pour relaxante et déstressante ; elle diminue la pression artérielle, apporte un bien-être psychologique, favorise les émotions positives et augmente l’espérance de vie » [5].
Aujourd’hui, selon Michel Pastoureau :
une triade se dégage nettement et représente la véritable force symbolique de la couleur verte dans les sociétés occidentales contemporaines : la santé, la liberté, l’espérance. Cela n’est pas neuf mais a pris aujourd’hui une dimension considérable, influençant de nombreux domaines de la culture matérielle, de la vie quotidienne, de la création artistique et de l’imaginaire. Le vert est sain, tonique et vigoureux. Il est libre et naturel, prêt à lutter contre tous les artifices, toutes les entraves, tous les autoritarismes. Surtout, il est riche de multiples espérances, tant pour l’individu que pour la société. [6]
Et il connaîtra, sans aucun doute, de nouvelles évolutions.
Georges Iliopoulos
Le choix d’une couleur comme le vert pour agrémenter son chez-soi est donc tributaire de la stratification de diverses valences qui lui ont été accordées au fil du temps. Il n’est pas neutre, ni visuellement ni culturellement. Les couleurs sont ainsi riches, non seulement de leurs multiples nuances, mais de leur histoire elle-même chamarrée de nombreuses tonalités.
Du vert pour dormir ou se prélasser :
Du vert pour ranger et organiser :
Pour servir et déguster :
Du vert pour cuisiner et se retrouver :
[1] Michel Pastoureau, Vert. Histoire d’une couleur [2013], Éditions du Seuil (« Points histoire »), 2017, p. 9-10.
[2] Ibid. p. 9.
[3] Ibid. p. 62.
[4] Ibid. p. 64.
[5] Ibid. p. 211.
[6] Ibid. p. 221.